De la fragilité des objets de la collection du Musée des Confluences

Le musée des Confluences conserve dans sa collection plus de 3,5 millions d’objets, à la fois des productions humaines et des spécimens des sciences naturelles. Ces objets sont issus de la longue histoire du musée qui rassemble les héritages des premiers cabinets de curiosités du 17e siècle, eux-mêmes à l’origine du Muséum d’Histoire Naturelle de Lyon, du musée Guimet de Lyon, dédié à la découverte des civilisations et surtout de leurs religions, du musée colonial de Lyon et encore des Œuvres de la Propagation de la Foi. L’intérêt de ces objets pour la collection relève non seulement des sources de connaissance qu‘ils constituent, mais aussi du plaisir qu’ils peuvent procurer aux visiteurs. Le rôle du musée et de ses équipes est de préserver cette collection dans des meilleures conditions possibles et d’assurer sa conservation afin de pouvoir la transmettre aux générations futures.

Certains objets de la collection sont constitués de matériaux très fragiles ou qui le sont devenus avec le temps. Les armures de samouraïs japonais, objets de pouvoir par excellence, sont composées de très nombreuses pièces réalisées notamment en bois laqué. Ces armures sont une illustration d’une contradiction extraordinaire. Sensées, dans un premier temps, protéger leur porteur contre l’adversaire lors des batailles, elles perdent, progressivement, avec l’évolution de la société et l’absence de combats, leur capacité de protection pour gagner en esthétisme. Les matériaux deviennent de plus en plus précieux et richement décorés et de moyens de protection, les armures se transforment en objets d’apparat. Le matériau qui devient alors majoritairement utilisé pour ces armures, le bois laqué, est très résistant à l’humidité et à la chaleur. Mais le contact avec la lumière lui fait perdre cette résistance. Il devient alors un matériau très fragile. Par conséquent, sa conservation aussi bien dans nos réserves que dans les salles d’exposition est particulièrement soignée et surveillée pour éviter toute altération irrécupérable.

De nombreuses autres pièces des collections ethnographiques portent la marque du temps, non pas seulement en raison de la dégradation des matériaux, mais aussi en raison de leur usage. Cette marque fait alors partie intégrante de ce que le musée et ses équipes doivent conserver. Les maternités, ou représentations de femme portant un enfant, sont très répandues dans la statuaire Lobi du Burkina Faso. Ces sculptures, réalisées pour apaiser les esprits appelés Thila sont régulièrement mobilisées en lien avec des préoccupations pour la conception, la grossesse et la naissance. Elles peuvent également être des représentations de figures d’ancêtres lignagères. Le traitement de ce sujet ne cherche pas à mettre en scène la relation d’une mère et à un enfant particulier, mais le principe de filiation et de transmission. Comme disait Elisabeth de Fontenay : «C’est cette transmission qui fait de nous des êtres humains. Tant qu’il y a cette transmission de la pensée et de l’art, tant qu’il y a une histoire, tant qu’il y a une histoire qu’on transmet, une histoire qu’on enseigne, il y a de l’humanité». Sculptée dans un seul morceau de bois, la maternité conservée par le musée des Confluences illustre la capacité du sculpteur à s’adapter à la forme de sa matière première et la transformer à son avantage. La branche incurvée ayant servi pour la sculpture donne un mouvement gracieux, de courbe et contre-courbe. Toutefois, placées sur des autels, ou à même le sol et parfois en plein air, les sculptures de ce type sont généralement dégradées, notamment au niveau des pieds et du bas des jambes. Cette usure, si caractéristique de ces maternités, est l’objet d’une attention particulière, pour être conservée en l’état. Le musée s’emploie ici à arrêter le temps.

La conservation des pièces issues des cultures d’autres continents, non Européennes, interroge également la relation que nous entretenons avec elles et les objets qui en sont issus. Selon son projet scientifique et culturel, une des missions du musée des Confluences est de présenter la diversité des populations et de leurs cultures, pour contribuer à une meilleure compréhension entre les populations. Ainsi, dans de nombreuses expositions, le musée a mis en lumière, à travers la présentation d’objets et matériel iconographique, certaines cultures aujourd’hui menacées ou même disparues. De telles expositions permettent d’éclairer les relations parfois complexes que les Européens ont pu entretenir avec les autres populations. Lors de leur installation en Terre de Feu à la fin des années 1870, des missionnaires italiens rentrent en relations avec des populations aujourd’hui disparues, les Selk’nam, Haush, Alakaluf et Yahgan. Deux coquilles peintes du 19e siècle que ces missionnaires ont envoyé à Lyon, auprès des Œuvres de la Propagation de la Foie, sont des témoins précieux des cultures alors présentes en Terre de Feu. Malheureusement, l’auteur, et l’histoire de ces objets, probablement des portraits peints, restent inconnus. Pour mystérieux qu’ils demeurent, ces objets sont un des rares témoignages des formes de vie présentes en Terre de Feu, illustrant tant la fragilité de nos cultures que les limites de nos connaissances.

Merja Laukia, directrice des collections et des expositions du Musée des confluences

Fig. 1 : Maternité, inv. 2007.10.2, musée des Confluences (Lyon, France)

Fig. 2 : Armure noire de samourai, inv. 2009.0.436, musée des Confluences (Lyon, France),

Fig.3 : Coquilles peintes, inv. D979-3-1280 et D979-3-1279, musée des Confluences (Lyon, France), © Olivier Garcin.

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