Le musée municipal Paul-Dini de Villefranche-sur-Saône organise son parcours permanent et son exposition temporaire Espoirs et fragilité autour de la place de l’humain au sein de son environnement naturel. Dans les années 1830, l’artiste interprète encore le paysage au sein de son atelier. Progressivement, le travail sur le motif conjugué à l’utilisation de la couleur exaltée par la lumière permet une évolution de la peinture de paysage. Au début du XXe siècle, l’artiste métamorphose la nature comme c’est le cas avec les peintres fauves Jean Puy (Flânerie sous les pins, 1905) et Emilie Charmy (Piana, 1906).

L’exposition Espoirs et fragilité, en résonance avec Manifesto of Fragility (BAC Lyon), présente de grands formats de différentes techniques (peintures, photographies, dessins, assemblages) autour de la vanité et des fragilités, avec les œuvres contemporaines de Jean-Philippe Aubanel, Delphine Balley, Carole Benzaken, Marc Desgrandchamps, Philippe Dereux, Jeremy Liron, Hilary Dymond, Véronique Ellena, Ernst Kapatz, Jackie Kayser, Isabelle Jarousse, Eric Roux-Fontaine, Mathias Schmied, Max Schoendorff, Djamel Tatah, Jacques Truphémus, Henri Ughetto, Jacqueline Salmon, Marie-Anita Gaube, Florence Dussuyer, Max Schoendorff, Henri Ughetto, Cristine Guinamand. La sculpture de Daniel Firman Monochrome, 2020 s’inscrit dans sa série des Gathering, en questionnant le corps dans l’espace et l’environnement.

Les matériaux récupérés comme moyens de création
Les Singuliers comme Philippe Dereux (1918-2001) et Armand Avril (1926) développent un système de pensée en marge de l’art lié aux beaux-arts. En 1966, Philippe Dereux rédige Le traité des épluchures. Il crée des tableaux d’épluchures de fruits et légumes représentant de manière humoristique des personnages liés aux luttes sociales et à la dérision du pouvoir avec L'Insurrection (1978) et La reine aux yeux noirs (1992). Armand Avril assemble des objets de récupération, souvent rehaussés de couleurs vives dans Manau Tupapau ou Oiseau (1998). Quant à Henri Ughetto (1941-2011), ses Mannequins imputrescibles demeurent le reflet du monde libre auquel il aspire. Face à cette énergie vitale, l’œuvre de Jackie Kayser (1946-2005) associe l’obscénité à la grâce et l’attraction à la répulsion comme dans les trois grâces aux parties d’ange (1992). Marie Morel (1954) rassemble aussi divers matériaux (bois, matières récupérées) et compose minutieusement ses toiles avant de les peindre tout en les peuplant de réflexions d’ordre philosophique et poétique. L’œuvre Il n’y a plus aucun problème (2013) renvoie au système marchand, dont l’artiste a évidemment besoin, mais qui perturbe son quotidien.

La nature source de notre interrogation face à la fragilité
La photographe Jacqueline Salmon présente dans son triptyque Les nuages (1997) son intention de marquer le passage du temps. Jacques Truphémus (1922-2017) évoque avec Sieste sous la tonnelle (2007) l’abandon des corps au sommeil alors que la nature les enveloppe de verts et de mauves intenses. Les coulures de peinture accentuent la sensation de mélancolie du temps qui passe. Delphine Balley (1974) s’intéresse dans la série Voir c’est croire, aux récits basés sur les fondements ancestraux de nos sociétés, notamment à partir des rites et des croyances. Avec la chambre photographique, elle développe une esthétique de l’immobilité des personnages comme c’est le cas avec Le Praxinoscope (2019).

Florence Dussyer mêle dans Quand viendront les jours indomptable (triptyque, 2016) la peinture à d’autres matières pour former des espaces colorés oniriques d’où surgissent des corps féminins se mouvant dans des étoffes. Marie-Anita Gaube (1986) dans La Lutte amoureuse (2016), place deux corps sans tête s’opposant sur fond de paysage exotique alors que le premier plan est animé par des objets. L’artiste précise : « (…) C'est vrai qu'il y a une certaine fragilité dans les corps que je représente. Ils semblent souvent suspendus, prêts à s'écrouler, vaporeux ou en état de métamorphose. Cet état de fragilité peut aussi passer par une gestuelle absurde à la limite du burlesque, à la Buster Keaton. (…) Les sujets que je choisis ont quelque chose d'éphémère, quelque chose qui glisse ».

Cristine Guinamand (1974) quant à elle construit ses scènes de « chaos organisé », dans une effervescence colorée, pour retranscrire simultanément la beauté merveilleuse de la nature et l’horreur des tragédies qui la menacent. Pluie noire (2018), peinture sombre et lumineuse, témoigne de son émotion face à la violence infligée au monde animal et végétal.

Avec Night song in the jungle (diptyque, 2008), Eric Roux-Fontaine (1966) nous fait pénétrer dans la pénombre inquiétante et aussi paradisiaque de la jungle. Inspiré par le Livre de la jungle de Rudyard Kipling, il tente de « […] peindre ce silence avant la tempête, les quelques heures qui nous séparent d’une mousson salvatrice qui ré-enchanterait enfin le monde ». À cet univers exotique où l’homme est seul face à la jungle, répond l’humour du sculpteur Ghyslain Bertholon (1972) : Caïman invisible (2021) interroge les rapports de domination de l’homme sur la nature et les animaux.

Dans le Triptyque (2005), Marc Desgrandchamps (1960) peint une plage méditerranéenne sur le fond de laquelle se détache, sur la gauche, une figure exubérante tandis qu’à droite se tiennent deux femmes éplorées (à leurs pieds se devinent des restes humains). L’artiste s’est arrêté sur l’image d’un document de presse relatant la prise d’otage de Beslan en Ossétie du Nord en septembre 2004. L’indétermination des plans, le rythme de verticales insufflent à ce paysage une indicible sensation de précarité de l’existence. Dans un autre registre, Jeremy Liron (1980) compose des toiles d’architectures et de paysages désertés, dans une vision souvent cinématographique. Dans Paysage n°110, 2012 et Paysage n°196, 2020, l’artiste explore la manière dont notre regard retient ce que nous percevons de notre environnement. Dans Portée d’ombres.2 (2018), Carole Benzaken (1964) saisit l’instantanéité des ombres portées des pins de l’ile de Porquerolles laissant au spectateur la sensation éphémère du vent dans les arbres.

Cette approche du sensible par les artistes contribue à nous mobiliser face à l’irrémédiable cours des dérèglements climatiques et bellicistes. Confrontée aux éphémères destinées humaines, l’œuvre d’art nous invite à une expérience esthétique et réflexive. La sensibilité de l’artiste semble nous offrir une manière de contrarier l’instabilité de l’échiquier mondial comme de la précarité sociale. Nourries de nos inquiétudes, les œuvres d’art offrent souvent une résistance aux forces qui nous déstabilisent. Espérer construire ensemble une nouvelle voie esthétique et créative peut assimiler l’art à une alternative esthétique salvatrice.

Sylvie Carlier, directrice du Musée municipal Paul-Dini de Villefranche-sur-Saône