Partage d'exotismes

L’exotisme est avant tout une question de regard. Le point de vue porté sur l’étranger engendre l’étrange. Il n’est donc en principe pas inhérent à l’œuvre. Il dépend d’une perspective qui lui est extérieure. Le partage d’exotismes égalitaire et réciproque pourrait fonctionner dans un monde où les pouvoirs seraient équilibrés. La tentation est grande pour certains artistes qui estiment que leur clientèle est principalement en Occident, d’émailler leurs œuvres d’éléments exotiques pour ce public. Inversement, dénoncer chez les artistes étrangers à notre culture, la moindre intrusion d’élément vernaculaire les condamne à devenir des singes de notre culture et abandonner leur propre histoire.

Certaines œuvres d’artistes occidentaux ne sont pas dénuées de quelques effets exotiques puisqu’ils sont de plus en plus nombreux à rendre compte de la réalité des autres cultures. Là aussi une condamnation systématique serait absurde. Le repli total sur soi n’est pas imaginable et le jugement doit s’exercer sur la valeur intrinsèque de l’œuvre, qui doit dépasser le simple usage du pittoresque. Il serait bien téméraire aujourd’hui de vouloir déceler une pureté éthique et culturelle qui serait conforme à un souhait d’autonomie dénuée de contact avec l’occident. L’art n’est, comme toujours, qu’une suite d’appropriations, de contacts, d’influences et de métissages, n’en déplaise aux tenants de la pureté stylistique ou ethnique.

Parmi les préoccupations majeures des générations antérieures, figurait la nécessité d’établir l’autonomie de l’activité artistique au sein du corps social. Les créations rivalisent de radicalisme pour atteindre des sommets ultimes qui accréditent la témérité des conquérants des territoires de l’art comme inexplorés. Les récits de ces victoires héroïques sont devenus pour les artistes d’aujourd’hui des légendes, comparables à l’hagiographie des saints. Sans doute sont-ils plus touchés par les biographies elles-mêmes, les prises de position et les comportements radicaux que par les œuvres. Leur tentation va plus dans le sens d’une expérimentation de telles attitudes vis-à-vis du public que de la création d’une œuvre à valeur éternelle.

Dans le même temps, la prégnance et la domination des catégories proprement artistiques s’estompent au profil de valeurs plus générales relevant des sciences humaines ou de l’anthropologie.

L’homme est remis au centre des préoccupations dans sa plénitude et pas seulement sa quête d’une pureté ascétique du visuel.

La pensée visuelle se réincarne dans la sensation de la destinée humaine. Maintes frivolités des artistes d’aujourd’hui ne font que masquer la nécessité de se connaître soi-même et de savoir affronter la condition humaine.

Ces facteurs facilitent aujourd’hui une communication entre les artistes de cultures différentes. Il est impératif que ceux qui créent en dehors de nos circuits aient la possibilité de continuer à le faire dans le respect de leur tradition, de leur histoire et de leur système de références.

Et s’ils optent pour ce choix, il est tout aussi impératif qu’ils trouvent dans les circuits valorisants de l’Occident si puissant, une reconnaissance de leur valeur intrinsèque.