12e Biennale de Lyon

Portraint Thierry Raspail

Thierry Raspail, Directeur artistique

Auparavant, il y avait la Biennale,c’est-à-dire l’exposition internationale. Aujourd’hui vous parlez de trois plateformes : de quoi s‘agit-il ?
En effet, autour de l’exposition internationale qui est le coeur de la Biennale, nous avons créé deux plateformes : Veduta et Résonance, qui n’ont pas d’équivalent dans les autres Biennales internationales. Chacune de ces trois plateformes a désormais son propre guide. Trois plateformes pour une seule Biennale. Mais bien sûr, l’exposition internationale en est l’âme et le gouvernail. Cette année, Gunnar B. Kvaran l’intitule : Entre-temps… Brusquement, Et ensuite . Ce titre est le début d’un récit dont le public peut écrire la suite. L’exposition présente les oeuvres de 77 artistes dans cinq lieux, avec deux weekends, l’un consacré à la performance et l’autre à la vidéo. Enfin un troisième week-end au cours duquel nous laissons la parole à des robots qui vont à leur manière nous raconter la Biennale (organisé avec le concours d’Awabot). En plus des trois lieux traditionnels que sont la Sucrière, le macLYON et la Fondation Bullukian, j’ai ajouté deux lieux nouveaux, à Lyon, proches du quartier Renaissance et des théâtres gallo-romains, et faciles d’accès : il s’agit de l’église Saint-Just et de la Chaufferie de l’Antiquaille, à 400 mètres l’une de l’autre qui accueillent chacune un artiste, et nous racontent deux histoires apparemment éloignées : celle de l’esclavage et celle de la route mondiale des musiques.

Et les deux autres plateformes ?
La seconde plateforme s’intitule Veduta, ce qui signifie vue en Italien. C’est un terme utilisé par les peintres de la Renaissance, et c’est pour nous comme une petite fenêtre ouverte sur les récits du monde. Veduta est un projet AMATEUR. Par amateurs, j’entends ceux qu’au XVIIIe siècle on appelait les curieux ou les connaisseurs. Par conséquent Veduta est un projet ouvert à tous les amateurs curieux de tous âges et de toutes appartenances sociales. En 2013 Veduta se déroule dans six communes du Grand Lyon (Lyon, Grigny, Oullins, Saint-Priest, Givors et Vaulx-en-Velin) : ce sont des résidences d’artistes, des ateliers, des expositions, des enquêtes qui sont conçues pour et par des amateurs qui en font le récit. Nous avons créé une petite centaine de maisonvedutas, trouvées ou construites, dans des montées d’escaliers, des musées, des souterrains ou encore des églises ou des lavomatiques ; et 70 appartements privés (qui sont autant de maisonvedutas ) accueillent 70 oeuvres de chacun des artistes de l’exposition internationale pendant toute la durée de la Biennale. Ce sont donc 70 expositions dont les propriétaires nous raconteront l’histoire à l’issue de la Biennale. En fait, Veduta est un petit laboratoire d’expérimentation visuelle dont les amateurs sont les héros.

Résonance est donc la 3e plateforme ? Nous avons créé Résonance en 2003. À l’origine, il s’agissait avant tout d’un « coup de projecteur » sur la création en Rhône-Alpes qui, tout au long de l’année, manifeste une certaine énergie. Aujourd’hui, Résonance réunit des expositions, des performances, des concerts. Ces projets sont des initiatives portées par des artistes, des galeries qui ont particulièrement retenu mon attention. Ce sont plus de 200 événements qui se déroulent en 2013. Cette année nous avons mis l’accent sur quinze Focus dont certains sont conçus en étroite collaboration avec la Biennale. C’est par exemple le cas de Rendez-Vous, exposition consacrée à la création émergente qui relève d’une collaboration entre l’Institut d’Art Contemporain, l’École Nationale des Beaux-Arts de Lyon et le Musée d’art contemporain. Ces quinze Focus présentent toutes les formes d’art : la photographie (galerie Le Réverbère), l’installation (La Salle de Bains, La BF15), mais aussi la sculpture avec les dernières pièces de Didier Marcel au Vog à Fontaine (Isère), ou encore les oeuvres récentes d’Anne et Patrick Poirier au Couvent de la Tourette, édifice conçu par Le Corbusier. Je ne peux hélas pas tout citer et vous invite donc à vous reporter au guide Résonance. L’édition 2013 de la Biennale fait preuve d’une belle vitalité, et s’il est probable que les oeuvres et leurs récits visuels ne changeront pas le monde, ils changeront à coup sûr notre regard sur ce monde.

Quelle est la règle du jeu de cette 12e édition de la Biennale d’Art Contemporain ?
Depuis la création de la Biennale en 1991, j’ai choisi de lier trois éditions successives à un mot. Après avoir été co-commissairedes trois premières Biennales autour du mot Histoire, j’ai choisi pour les trois suivantes d’inviter trois commissaires successifs autour du mot Global. Puis, il y en a eu trois autour du mot Temporalité, et c’est avec le mot Transmission que nous achevons en 2013 ce quatrième cycle. Chacun des commissaires invités interprète le terme selon sa sensibilité et de mon côté, le mot que je retiens me guide dans le choix du commissaire. Mais ces mots ne sont que le début d’un dialogue que je noue avec eux, ils ne constituent pas véritablement un thème ou un sujet pour la Biennale. Ainsi, lorsque j’ai proposé à Gunnar B. Kvaran d’assurer le commissariat en 2013, c’était bien sûr à la condition qu’il accepte de réfléchir à cette question cruciale de la transmission. La transmission concerne aussi bien l’art que l’histoire, et plus largement la société tout entière, la technique ou la pensée. C’est une transmission accélérée par la vitesse des changements radicaux du monde. Au mot transmission,Gunnar B. Kvaran a répondu de façon très spontanée par récit visuel, car ce sont les récits qui transmettent aujourd’hui. En effet, l’art d’aujourd’hui ne fait rien d’autre que raconter le monde, et il le fait avec de nouvelles formes de récits que trop souvent nous réduisons à des styles, mais c’est bien plus que cela…

Cependant, le récit n’est pas une nouveauté en art.
En effet, c’est en 1297 que Giotto invente une nouvelle forme de récit visuel. Cela se passeà Assise en Italie et l’oeuvre (la fresque) qu’il peint raconte la vie de Saint-François. Très réaliste et totalement nouvelle, l’image créée par Giotto va servir de support à la légendede Saint-François. Pour la première fois dan sl’Occident médiéval, une image précédait un texte. Le temps a passé depuis cette époque, et l’image sous toutes ses formes a envahi nos écrans, nos regards et nos vies. Par ailleurs on a oublié que les artistes, aussi, racontaient des histoires : ça peut-être aussi bien le récit de l’actualité, que des fictions, des biographies ,des journaux intimes, des histoires tragiques ou heureuses… Et ce sont ces nouveaux récits, peints, sculptés ou le plus souvent mixtes, avec ou sans écran, avec ou sans texte, que présente la Biennale 2013. Ils ne ressemblent en rien au passé et ils viennent du monde entier, de dix-huit pays et de tous les continents. Aujourd’hui, les récits ont littéralement submergé notre environnement. Internet et les réseaux sociaux en ont été les acteurs majeurs à côté de la politique, de la science et de la poésie. Et c’est maintenant au tour des artistes de prendre la parole e nrécit, en image et en art. Le Petit Prince a dit : « Raconte-moi une histoire », et le poète l’a dessinée…

Les trois plateformes de la Biennale par Thierry Raspail